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korrari
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4 mars 2008

dante

Ô vous, qui naviguez dans vos petites barques,
désireux de m’entendre, et suivez à la trace
la route de ma nef qui s’avance en chantant,

retournez maintenant auprès de vos rivages ;
ne vous hasardez pas au large, car peut-être,
resterez-vous perdus, si vous vous écartez !

Personne n’a suivi la route que je prends ;
Minerve tend ma voile et Apollon me guide,
et ce sont les neuf sœurs qui me montrent les Ourses.

Et vous, le petit chœur de ceux qui de bonne heure
avez tendu le cou vers le pain angélique
dont on vit ici-bas sans se rassasier,

envoyez hardiment vos nefs en haute mer,
mais en prenant bien soin de suivre mon sillage,
tant que sur l’eau mouvante il n’est pas effacé.

Les héros qui jadis abordaient en Colchide
furent moins étonnés que vous ne le serez,
lorsqu’ils virent Jason devenu laboureur.

La soif perpétuelle, innée au cœur de l’homme,
du royaume construit selon Dieu, nous portait
aussi rapidement que le cours des étoiles.

Béatrice fixait le ciel, moi Béatrice ;
et le temps plus ou moins que mettrait un carreau
à quitter l’arbalète et à frapper le but,

je parvins en un point dont l’éclat merveilleux
me donnait dans les yeux ; à l’instant cette dame,
qui connaissait toujours le fond de ma pensée,

se retourna vers moi, belle autant que joyeuse :
« Élève ton esprit et rends grâces à Dieu,
qui nous fait arriver à la première étoile ! »

Un nuage parut nous revêtir alors,
épais et rutilant, éblouissant et dru,
pareil au diamant où le soleil se baigne.

Cet éternel joyau nous reçut dans son sein,
comme l’onde reçoit un rayon de lumière
restant en même temps parfaitement unie.

Si j’étais corps (sur terre on ne saurait comprendre
qu’un espace tolère un autre espace en soi,
ce qui doit advenir, si deux corps se pénètrent),

il devait s’enflammer d’un plus ardent désir
de contempler l’essence en laquelle l’on voit
comment notre nature est confondue en Dieu ;

et nous verrons là-haut ce qu’ici nous croyons
sans qu’on l’ait démontré, mais qui s’offre à l’esprit,
de même que l’on croit aux principes premiers.

Je répondis : « Ma dame, aussi dévotement
qu’il est en mon pouvoir, je rends grâce à Celui
qui me sépare ainsi du monde des mortels.

Dites-moi cependant, que sont ces taches sombres
que l’on voit sur ce corps et qui là-bas, sur terre,
ont fait croire à la fable où l’on nomme Caïn ? »

Elle sourit un peu, puis dit : « Si des mortels
le raisonnement court vers l’erreur, chaque fois
qu’il ne peut se servir de la clef des cinq sens,

par contre, désormais la pointe des surprises
doit s’émousser pour toi : tu vois que la raison
que desservent les sens a les ailes trop courtes.

Mais fais-moi voir d’abord comment tu te l’expliques ! »
« Les aspects différents que l’on y trouve, dis-je,
sont l’effet, à mon sens, des corps plus ou moins denses. »

Elle dit : « Tu verras que ton opinion
a sombré dans l’erreur, si tu suis avec soin
mon exposition des arguments contraires.

Dans la huitième sphère on observe un grand nombre
d’astres, dont on voit bien que, pour la qualité
comme pour la grandeur, l’aspect est différent.

Si le rare ou le dense en étaient seuls la cause,
on trouverait en tous une seule vertu,
plus dans l’un, moins dans l’autre, ou bien pareillement.

Mais nécessairement des vertus différentes
de principes formels différents font la preuve ;
dans ton raisonnement il n’en subsiste qu’un.

Or, si la densité fut la cause des taches
que tu veux t’expliquer, il s’ensuit que cet astre
serait de part en part privé de sa matière ;

ou bien, comme ces corps où l’on trouve à la fois
le gras avec le maigre, ce serait un volume
formé, selon l’endroit, de plus ou moins de feuilles.

Si le premier était, il serait manifeste
dans les éclipses : lors, les rayons du soleil
traverseraient l’espace ainsi raréfié.

Il n’en est pas ainsi : voyons donc l’autre cas ;
et si je peux prouver qu’il n’est pas mieux fondé,
il en résultera que tes raisons sont fausses.

Puisque le clairsemé ne forme pas un trou,
il s’ensuit qu’il existe un point où son contraire
finit par l’empêcher de s’enfoncer plus loin

et repousse à son tour les rayons du soleil,
tout comme le cristal réfléchit les couleurs,
lorsqu’on l’a fait doubler d’une couche de plomb.

Tu pourrais répliquer que, si certains rayons
se montrent plus obscurs que ceux venant d’ailleurs,
c’est parce que leur source était plus reculée.

Si tu veux l’éprouver, la simple expérience
pourra facilement éliminer tes doutes,
elle, qui sert de source au fleuve de vos arts.

Ayant pris trois miroirs, à la même distance
de toi, places-en deux ; et que ton œil retrouve
entre ces deux premiers le dernier, mais plus loin.

Puis tourne-toi vers eux et mets derrière toi
un flambeau, prenant soin que les miroirs reçoivent
et te rendent aussi tous les trois sa lueur.

L’image qui viendra de plus loin paraîtra
plus petite, sans doute, à l’égard des deux autres ;
tu verras cependant qu’elle a le même éclat.

Or, comme sous le coup des rayons de chaleur
le terrain reste à nu, dégagé de la neige,
libre de sa couleur et de son froid premier,

telle reste à présent ta propre intelligence ;
je m’en vais l’informer de si vives lumières,
qu’elles te paraîtront des gerbes d’étincelles.

Là-haut, au sein du ciel de la divine paix,
tourne autour de lui-même un corps dont la vertu
donne l’être et la vie à tout ce qu’il contient,

Le ciel qui vient ensuite et contient tant d’étoiles
répartit ce même être en diverses essences
différentes de lui, mais en lui contenues.

Les sphères d’au-dessous, chacune à sa manière,
disposent à leur tour ces germes différents
suivant leur origine et leur finalité.

Comme tu vois déjà, ces organes du monde
descendent de la sorte et changent de degré,
recevant de plus haut et agissant plus bas.

Observe maintenant comme je me dirige
par ce moyen au vrai que tu prétends connaître :
ensuite, tu sauras passer tout seul le gué.

Comme l’art du marteau dépend du forgeron,
le cours et la vertu de ces sphères célestes
s’inspirent à leur tour des moteurs bienheureux ;

et le ciel qu’embellit la ronde des flambeaux
imite ainsi l’image et devient comme un sceau
de ce savoir profond qui le fait se mouvoir.

Et de même que l’âme, au fond de vos poussières,
par des membres divers et spécialisés
développe et produit des forces différentes,

l’intelligence aussi produit et développe
des dons multipliés par toutes les étoiles,
et reste en même temps une seule et la même.

Différentes vertus diversement s’allient
avec le corps céleste animé par leurs soins,
se fondant avec lui comme avec vous la vie.

Et la nature heureuse où se tient son principe
fait briller dans le corps la vertu composite,
comme luit le bonheur dans le regard vivant.

De là la différence entre un aspect et l’autre,
qui ne dépendent pas du plus dense ou plus rare :
ce principe formel est celui qui produit,

selon sa qualité, le clair ou le confus. »

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